Mercredi, 15 février 1899Vent assez violent du S-S-O puis S-S-E, accompagné de neige. -4 à -5o, ciel toujours couvert. Nous marchons depuis 9 h du matin cherchant à gagner dans le Nord, aidés par le vent, mais non par la direction des clairières, qui toutes vont E-O, aussi est-on forcé de les couper en travers.Il me semble que plus avançons vers le Nord et plus les plaques voient décroître leur dimension moyenne. Le soir, elles n'ont pas plus de 250 m diamètre. La structure paraît aussi se modifier, en ce sens que les 3 couches caractéristiques sont de mieux en mieux indiquées. La consistance est presque toujours étonnamment molle. Le navire lancé à toute vitesse ne donne pas de choc trop brusque en atteignant la banquise. Certains flous sont couverts de grands hummocks, et alors la glace atteint quelques mètres d'épaisseur; d'autres fois elles sont basses et plates, et alors le navire s'y enfonce très facilement, éventrant une épaisseur d'un mètre au plus.Beaucoup de glace jaune dans la couche aquifère (II) et dans la couche (III), et ses contours sont raides, les formes irrégulières, le slash est absent, ce qui montre que la banquise vient de s'ouvrir seulement.La route choisie a été d'abord vers le Sud à travers notre chenal puis vers l'Est de la clairière ensuite N ensuite Ouest, de sorte que nous étions à un moment donné à l'hauteur de notre ancienne position, seulement plus au Nord de 1 ou 2 mètres. Depuis nous avons pris route en coupant les clairières.Passé à côté d'un flou ayant dessous une vieille carcasse de phoque. Deux Ossifraga y étaient assises mais tout le flou était couvert de gros jets de dégeulis.Vu plusieurs Ossifraga et Megalestris.Vu plusieurs Dasyrhamphus et un Aptenotydes. Tué deux Dasyrhamphus nigricolis femelles en train de muer qui accourent de loin voir passer le bateau.Amundsen tue pendant son quart un Ommatophoca rossi mâle, animal maigre et de faible taille. Vendredi, 17 février 1899Tempête et chasse-neige de l'Est. -1o. Temps affreux. La glace se casse et du slash se forme entre les plaques. Restons stoppés, la glace étant fermée.Tué deux Dasyrhamphus nigrogularis femelles. On capture deux Aprenodytes mâles. Vu un Ossifraga entièrement brun. Vu de nombreux Dasyrhamphus encore.Vu une troupe de balénoptères. Vu un Leptonychotes sur une plaque. Lundi, 20 février 1899Vent très faible du N-E. Par moments, beau soleil, température se maintenant un peu au dessous de 0o.La ligne d'icebergs que j'ai décrite vers le Nord n'est qu'apparente. Aujourd'hui, un excellent éclairage m'a permis de voir que ces icebergs sont étagés sur des plans très différents et qu'ils ne sont pas du tout sur une même ligne. Quoiqu'il en soit, nous n'avons jamais eu autant à l'horizon. Il faut remarquer qu'ils sont tous groupés (au nombre d'une 40aine?) sur un espace peu considérable et vers le Nord (N-O et N-E mais maximum N). Sur les autres positions de l'horizon, il n'y en a que d'isolés et en petit nombre. Jamais nous n'en avons eu au Sud une accumulation pareille. Cela démontre que ses icebergs viennent de la mer et qu'ils doivent se former alors en plus grande abondance dans les endroits qui communiquent avec la mer que dans ceux qui en sont séparés par une ligne de pack comme la nôtre.Je vais essayer de donner des figures des types les plus caractéristiques de ces icebergs. Pour aujourd'hui en voici un, le plus près du bateau, de forme presque carrée, ayant d'un côté une hauteur dépassant 35 m. Il est parcouru par des crevasses qui ne vont pas jusqu'à sa base et qui sont des crevasses de glacier, formées avant que le bloc ne se détache, comme le montre leur aspect. De l'autre, côté il possède une grande grotte.On tue 3 Aptenodytes (2 mâles et une femelle). Vu Ossifraga (3 ou 4). Un Oceanites oceanicus. Toute la journée Aptenodytes et Dasyrhamphus en nombre sur les glaçons qui environnent le bateau. Pendant que le soleil luisait ce matin, ils étaient tous occupés à la pêche et on les voyait sur toutes les flaques d'eau libres. Leurs cris caractéristiques et sonores éclatait de toute part. Le Dr., dans une excursion de 4 à 5 heures, a vu environ 200 Dasyrhamphus, 35 Aptenodytes et une 60aine de phoques, il est vrai autour des icebergs surtout. C'est un fait bien constaté que les icebergs, à cause du mouvement qu'ils produisent dans la glace, sont toujours recherchés par les animaux, qui ont besoin d'eau libre. Mais malgré cela, cette abondance doit être aussi une question de saison; maintenant nous sommes à la fin de la saison d'élevage et l'époque où les rockeries peuvent être désertées. Cela est probable, car tous les oiseaux que je trouve maintenant (surtout chez Aptenodytes, c'est net) sont maigres, tandis qu'il y a un mois ils étaient horriblement gras, donc n'ayant certainement pas couvé cette année. Les maigres sont des couveurs ayant fini leur tâche et venant maintenant se refaire.Mais la différence qu'il a avait entre notre ancien port et celui-ci peut dépendre aussi d'une cause dans laquelle la distance du bord de la mer est déterminante et que (la) différence de 10 à 15 milles peut être déterminante à ce point de vue. En effet, l'influence de la mer ne peut se prolonger indéfiniment à travers la banquise. Il y a donc les parages influencés et des parages non influencés. Ces deux régions sont certes limitées l'une par l'autre directement, il ne doit pas y avoir de passage insensible entre les deux. La houle, au dessous d'une certaine force, ne peut briser la glace, et il n'y a pas de glace à moitié brisée, donc la ligne qui limite la pénétration de l'action de la mer doit être une zone très étroite. Donc, sur un espace de quelques milles, deux régions, l'une très giboyeuse et l'autre déserte, l'une avec beaucoup d'eau et l'autre sans fente, peuvent parfaitement se toucher.Vers le soir on voit tous les pingouins monter sur les plaques, faire un bout de toilette et se coucher sur le ventre pour dormir.Un deuxième phoque dans l'eau et entendu plusieurs cétacés souffler. Le Dr. a vu plus de 60 phoques pendant une promenade dans la région des icebergs, la grande majorité des Lobodon, quelques Leptonychotes et 2 Stenorhynchus. Mardi, 21 février 1899A partir de 7 h a. m., vent de O-S-O, pas très fort. Température au dessous de 0o, tantôt ciel couvert tantôt soleil.Vers le soir le pack commence à s'ouvrir, les pressions s'entrouvrent doucement, de minces filets d'eau apparaissent couvert de slash tourbé de la pression qui s'écroule partiellement. Sur la banquise blanche aux ombres bleues, des lignes vert sombre apparaissent au loin, indiquant que partout le même travail s'accomplit, que les plaques se disjoignent et que l'eau luit au soleil. Nous n'avons plus de grandes plaques autour de nous. Celles de 100 m sont rares et celles de 50 les plus communes. Certaines sont déjà plus ou moins rondes, les autres montrent à leurs angles émoussés et à leurs pointes entamées la tendance à s'arrondir. Ce pack ressemble déjà beaucoup à celui qui nous a retendu l'année dernière en mars, et peu de fond souffrait à le rendre identique, quand des alternations de pressions, de détentes et de mouvements tournants auront arrondi les contours et diminué les dimensions des plaques. Tel qu'il est cependant, il est assez morcelé pour que nous ne puissions plus nous attendre à voir de grandes clairières se former; hier soir vers 7 heures 8 Dasyrhamphus s'étaient installés pour passer la nuit sur une plaque voisine. Ils se couchèrent sur le ventre et ce n'est que ce matin vers 8 heures qu'ils donnèrent signe de vie. Un bout de toilette bien sommaire suffit pour mettre leurs affaires en ordre et les voilà déambulant vers le bateau dont ils passent soigneusement l'inspection en exprimant leur impression en "kaah, kaah", diversement modulés. Puis des bords de la plaque ils piquent une tête l'un après l'autre à la recherche du déjeuner. Depuis plusieurs jours, ces oiseaux ont la tendance à se grouper par petites sociétés sur des plaques pourvues de hummocks, suffisamment élevées pour donner aux pingouins l'abri convenable contre le vent. Mais ce n'est qu'aujourd'hui que je crois que ces rassemblements se sont constitués d'une façon durable. La couche de ces sociétés est la même annuelle (ment). Le temps est venu de quitter l'ancien habit qui pendant une année a fait son office protecteur. Les rigueurs de l'hiver ont passé dessus ainsi que l'humidité de l'automne et du printemps. Ce que ces saisons ont enlevé de force protectrice n'a pas nui; finie la saison estivale, dès maintenant l'automne est là et l'hiver pas loin. Ils font nouveau duvet et bonnes plumes neuves, aussi la mue se charge-t-elle du changement. Ils sont là 16 sur une plaque près de nous, qui attendent faisant le gros dos, les plumes hérissées comme de vieux bonhommes frileux ou bien roulées à terre la tête rentrée dans les épaules.Ils ne paraissent pas tout à fait à leur aise. La mue doit leur procurer une sorte de fièvre comme toutes les fois que les tissus de l'organisme prolifèrent activement. Par-ci par-là une plume tombe, mais ce n'est que le commencement de l'affaire et la majorité a encore des plumes solides sur leur corps. Le bec fouille activement le plumage, chose qu'ils ne font ordinairement, parce que les vieilles plumes les gênent et leur causent des démangeaisons. Vu plusieurs Ossifraga occupés à dépecer un phoque. Vu des Megalestris. Vu un Pagodroma. Plusieurs Aptenodytes se promènent sur les plaques environnantes. Le soir, ils se couchent sur le ventre comme les Dasyrhamphus, mais le bec est fiché dans la neige et non tenu horizontal comme chez ces derniers. Vu une troupe de petits balénoptères, les mêmes que ceux qui venaient dans notre chenal artificiel, c'est-à-dire que des animaux de 10 à 14 m de long. Ils sont blancs grisâtre en dessous.Vu de nombreux phoques dans les environs du bateau vers 8 h p.m. une troupe de Lobodon montre une grande frayeur à cause du bateau en marche. L'un d'eux sauta même sur un glaçon avec une remarquable aisance, pour nous mieux examiner.Un Ogmorhynchus était aussi de la partie. C'était un animal d'une très belle taille, dont l'aisance pendant la natation et la vigueur avec laquelle il se lançait à la surface suffiraient pour distinguer son espèce de toutes les autres. Il montre, en pêchant, peu la tête et beaucoup son dos recourbé; il souffle avant que le museau soit hors de l'eau, ce qui donne naissance à deux jets d'eau assez forts. Sa manière de faire est plutôt celle d'un cétacé et notamment celle d'un balénoptère, que d'un phoque. Dans l'eau il paraît tout noir.J'ai vu le soir deux Stenorhynchus leptonyx se saisir d'une carcasse d'Aptenodytes jetée par-dessus bord il y a deux jours et se la disputer. Leurs ébats formaient de grands remous et de temps en temps on voyait une grosse tête se lever en l'air tenant entre les deux mâchoires un lambeau de pingouin immédiatement avalé ensuite. Ils s'enlevaient le morceau l'un à l'autre comme font les chiens. En quelques instants toute la carcasse fut avalée. C'est donc un fait que cette espèce mange des pingouins, mais comment se les procure-t-elle? Est-ce sur la glace ou dans l'eau? Mercredi, 22 février 1899Magnifique journée, calme, ciel clair, -4o, mais vers le soir vent violent d'Est et chasse-neige. La glace c'est très légèrement ouverte le soir après que le fort vent d'Est a commencé à souffler. Vu Ossifraga et Megalestris et un Pagodroma. Vu 5 ou 6 Aptenodytes. L'un d'eux, couché sur un glaçon à 7 h du soir ne s'est levé que le lendemain à 8 h du matin et a plongé.Vu de nombreux Dasyrhamphus par groupes ou isolés sur les flous.Traces de Dasyrhamphus. Outre les traces déjà décrites, j'ai observé aujourd'hui une autre espèce produite par la longue queue qui caractérise ces pingouins.Voir la figure pour la forme et les dimensions.Mue des Dasyrhamphus. Journée bien commencée mais mal terminée pour la petite colonie de Dasyrhamphus en train de muer. Par le beau soleil de ce matin et dans le calme de l'air, les 15 membres de la société des mueurs trouvent la vie agréable et le monde bien fait. Paresseusement roulés sur le ventre ou faisant le gros dos comme des gens un peu indisposés, il se laissaient chauffer par la bonne chaleur du soleil et trouvaient leur quiétude et leur tranquillité. Vers deux heures de l'après-midi ils furent un peu dérangés par 8 compatriotes, arrivé de loin par voie de terre et qui voulaient aussi entrer dans la société. Après quelques grognements des anciens, les nouveaux purent se caser et commencèrent comme les autres la veille de la mue. Mais voilà que se montre sur leur plaque un Dasyrhamphus qui sans doute est un jeune de l'année, d'après sa queue courte et sa petite taille. Comme tous les êtres jeunes, il est un peu bruyant, pas mal étourdi et ne tenant pas en place, aussi dès qu'il s'est mêlé dans le groupe et qu'il a commencé à courir de tous côtés en dérangeant les personnages graves et moroses de la société, un concert d'injures et de grognements se fait entendre et le jeune intrus est expulsé vigoureusement, emportant comme souvenir une volée de coups de becs. Le voilà maintenant sur la plaque voisine, promenant de tous côtés sa petite personne inquiète, allant sans but tantôt d'un côté tantôt d'un autre mais toutes les fois qu'il faisait mine de retourner sur le flou de la mue quelques grognements lui rappelaient de cuisants souvenirs. Mais changement de tableau: le vent se met à souffler avec violence, des tourbillons de neige balayent la banquise, obscurcissant la vue. Il fait froid, et le froid est pénétrant car il est poussé par le vent à travers tout. La société de la mue, toute entière sur ces pattes, donne des signes évidents de mauvaise humeur et d'inquiétude. On cherche des abris derrière les blocs de glace et l'on essaye les meilleures positions. Est-ce que couché ce ne serait pas mieux? Peut-être en tournant le dos au vent? Non; et le ventre? (…..) Hélas! Le hummock ne sert à rien. Le vent tourbillonne autour, mieux vaut la rase campagne, et voilà les manchots battant en retraite vers le milieu de la plaque. 12 d'entre eux, de ceux qui probablement peuvent encore se mettre à l'eau, partent chercher un autre gîte, meilleur, mais ils restent, présentent l'aspect le plus comique qu'on peut imaginer. Ils sont tous la tête rentrée dans les épaules et les plumes hérissées, et c'est dans cet équipage qu'ils errent tristement sur la plaque. Voici l'un qui se couche le nez au vent; mais il ne reste pas longtemps. La neige l'aveugle et il se tourne alors en présentant au vent une extrémité moins délicate. Brrr, mais c'est pis! La neige chassée par le vent violent pénètre sous les plumes soufflées à rebours et glace le corps. Ennuyée, la bête se remet sur les pattes, mais le vent la fait osciller, la neige l'aveugle, plein de rage, voici le petit bonhomme qui fait marcher ses pattes, et gare au compagnon rencontré sur la route: un violent colloque s'engage et les injures pleuvent sur le collègue qui n'en peut plus! Seul un peintre japonais pourrait croquer sur le vif le profond comique de la silhouette du manchot furieux parce qu'ennuyé, cherchant vainement un gîte dans la perspective brouillée d'un tourbillon de neige. Vendredi, 24 février 1899Vent d'Est après quelques heures de calme le matin. Ciel couvert très brumeux, température autour de 0o. Hier soir, la houle avait commencé d'abord faible puis d'intensité croissante jusqu'à 2 h du matin, pour décroître ostensiblement. Toute la journée nous l'avons eue, mais très faible. Il a été autrement cette nuit. Nous n'avons eu de houle aussi forte. La banquise ondulait rythmiquement toute entière, toutes les grandes plaques se cassaient en nombreux fragments. Il n'en reste plus aujourd'hui que de plaques rares ayant dans les environs de 40 m diamètre. Tout le reste s'est transformé en plaques de 5 à 6 m ou bien en morceaux plus petits, en glaçon et en slash. En même temps, un mouvement de pression s'est fait sentir, aussi ce matin toute la surface n'est qu'une couche informe de débris et slash sans la moindre trace d'eau libre. Le bateau a subi de rudes secousses et des chocs violents. Pendant tout le temps, le bruit du froissement du slash se faisait entendre d'une manière continue comme un bruit de brisant. Aujourd'hui il y a eu une légère détente mais toujours pas le moindre filet d'eau. Après minuit un très fort water-sky se fait observer dans le Nord arrivant jusqu'à l'horizon où il paraît le plus intense et formant une bande en croissant, sur le fond gris-noir de laquelle se détachent les icebergs disposés en lignes.Eloignement du bord de la banquise. Plusieurs faits, qui isolés seraient sans valeur décisive, viennent, je crois, indiquer ensemble que le bord de la banquise ne doit pas être fort éloigné de notre position actuelle.1. La violence de la houle de cette nuit. Il est difficile de croire que l'ondulation du pack tout entier puisse être produite par une mer libre très éloignée, surtout après le vent relativement faible que nous avons eu et qui à n'en pas douter l'a occasionné. La houle qu'on a ressentie cet été, quoique faible, a montré que lorsque nous étions dans notre poste d'hivernage le bord du pack devait aussi être plus ou moins voisin.2. La ligne d'icebergs du nord, en quantité beaucoup plus grande que dans les autres directions, montre aussi que le bord de la mer n'est pas loin.3. La présence constante depuis que nous sommes ici d'un water-sky caractérisé, soit d'une teinte plus ou moins foncée du ciel, tend aussi à indiquer mer libre dans le nord.Quel en serait alors l'éloignement? De 20 à 25 milles je crois, et voici pourquoi. Le water-sky, qui n'est que le reflet de l'eau sur les nuages, ne se montre pas toujours, mais par les jours clairs, quand probablement les nuages sont hauts. Il ne se montre jamais interrompu de pluie à l'horizon et de plus forme une mince bande en croissant qui est plus foncée vers l'horizon, et s'estompe vers le zénith. Cela démontre que l'eau doit se trouver d'un certain éloignement de l'autre côté de l'horizon. (…) que les nuages sont plus bas, naturellement le water-sky ne peut pas paraître à notre distance…Si cela est vrai, si le bord de la banquise n'est pas plus loin que 20 ou 25 milles, il s'ensuit que cet hiver le bord ne devait pas être très éloigné non plus, étant donné que pour les raisons suivantes je ne crois pas que l'effet de l'été soit bien puissant.a) Il est incontestable que les fentes qui se recouvrent de glace font avancer la banquise au Nord, pendant l'hiver. b) Il n'existe pas de courant constant vers le bord: la seule force qui agit sur la banquise est le vent qui domine été comme hiver, comme vent du Nord et plus du Nord en hiver qu'en été… Donc à ce point de vue, il ne peut y avoir différence très grande en hiver et été.c) La fonte complète de la glace n'a lieu ni en hiver ni en été à l'intérieur de la banquise. Seule la couche de neige est fondue, la glace diminue peut-être un peu en épaisseur l'été et c'est tout.Le drift-ice ne forme que deux ou trois minces zones en avant de la bordure du pack, zones qui occupent un espace de 2 ou 3 milles. Les plaques ne quittent pas la banquise pour courir au nord et se laisser fondre, car il n'y a pas de courant qui puisse les y pousser. La limite ou bordure de la banquise reste enveloppée par des zones de drift-ice relativement compactes et change de place tout d'une pièce.Le bord de la banquise forme donc une ligne plus ou moins sinueuse, dont les sinuosités peuvent varier plus ou moins, dont la position géographique change constamment, soit en latitude soit en longitude, mais dont la position par rapport à un point pris à l'intérieur de la banquise ne change que très faiblement pendant le courant de l'année et cela par le fait que les différents points de l'intérieur de la banquise tendent à se rapprocher de la bordure. Je crois donc qu'en hiver le bord de la banquise était à 40 ou 50 milles de notre ancien poste et que la diminution de la glace comporte au maximum 10 milles par an (ce chiffre me paraît bien fort). 1. La rapidité avec laquelle montait la température en plein hiver lorsque le vent tournait au nord.2. La présence constante d'oiseaux, surtout de ceux qui habitent les bords du pack (Thalassoeca, Oceanites etc.).3. La présence de faibles mouvements de houle, même en hiver.Vu Ossifraga (4 ou 5). Vu 2 ou 3 Aptenodytes. Les Dasyrhamphus sont aujourd'hui installés toujours sur le glaçon à 500 m du bateau. Plusieurs autres sont observés sur la glace. Vu plusieurs phoques sur la glace. Amundsen a vu un cétacé lever la tête à travers le slash compact. Depuis deux jours du platteis se forme pendant la nuit dans la mâture, platteis qui tombe le jour sur le pont. Lundi, 6 mars 1899Presque calme, ciel couvert avec souffle du Nord-Est à -7o. Avec ce vent la banquise a été comprimée, la clairière qui s'était formé s'est fermée, la houle a cessé complètement, et le slash a gelé si bien que partout il soutient l'homme. En ce moment la banquise est complètement fermée, malgré le voisinage de la lisière qu'on voit encore du nid de corbeau, c'est-à-dire à 10 milles. Le water-sky est toujours très fort dans toute la région Nord, et maintenant on peut voir que ce qu'on voyait de notre ancien poste comme une zone bleue au Nord n'était que le reflet du water-sky, visible donc à une trentaine de milles. Les Dasyrhamphus de la station de mue ont été tués en partie, 27, dont un perdu, 12 mâles et 14 femelles, et 6 ont échappé au massacre, cela fait 33 en tout. La plaque sur laquelle ils étaient est remplie de plumes et de déjections et fait tache sur la blancheur environnante. Cette colonie fut fondée le 2 février. Elle a duré 13 jours et elle aurait subsisté encore quelques jours, témoin les deux autres, plus éloignées du bateau, qui durent encore. Je tiens à noter que la colonie détruite e'était d'abord établie à côté du bateau mais que plus tard, à la suite des houles, elles s'est transportée plus au sud fuyant ainsi que le voisinage de la lisière. Vu un Ossifraga tacheté ordinaire et un presque entièrement brun. Depuis que nous sommes ici, j'ai vu beaucoup plus de sombres qu'avant. Serait-ce des jeunes de l'année? Dimanche, 12 mars 1899Ciel clair, beau soleil avec fort vent du Sud-Est qui se calme vers le soir. -14o. Fait une excursion cet après-midi. Pas mal de neige tapisse la plaque et se blottit dans les intervalles abrités ou dans les enfoncements, mais non dans l'espace entre les plaques, le vent ayant balayé la neige avec assez de force pour la faire passer au dessus des crevasses sans la laisser tomber dedans. Tout ce qui fut slash entre les flaques est fortement cimenté par la gelée et forme une masse informe et chaotique à surface rugueuse qui soutient facilement l'homme et même beaucoup d'hommes à la fois. La couleur est grisâtre. Les plaques sont fortement brisées. Toutes celles formées de glace de l'année dernière sont fendues en morceaux de quelques m diamètre à contours angulaires, triangles, rhombes, trapèzes ou carrés, qui sont souvent un peu montés les uns sur les autres, montrant leur tranche d'un côté et plongeant dans l'eau de l'autre. Les flaques de glace plus ancienne ont mieux résisté, cependant celles de plus de 30 m diamètre sont rares. Le plus souvent, ce sont des lignes de hummocks qui ont résisté et cela donne à ces plaques l'aspect d'icebergs en miniature. L'aspect général de la banquise est celui d'un champ mal labouré, où la charrue se serait promenée un peu à tort et à travers, au gré des bœufs, croissant les sillons et les faisant alterner avec des espaces nus. Cà et là, une grosse plaque se dresse, obliquement fichée en terre, ou bien délicatement déposée au sommet d'un tas de slash gelé. Pas d'eau au départ près de navire, la banquise est figée morte, mais près des icebergs des fentes paraissent, de minces filets d'eau luisent au soleil et au pied de ces masses glacées l'eau liquide et sombre forme de petites lagunes. Le bord de la fente est ourlé de jeune glace grise qui se continue par une élégante dentelle de beaux cristaux plats et longs formant du côté de l'eau une bordure en zigzag. De petits cristaux, transparents comme ceux de la bordure, flottent dedans, près de la surface où ils montent et s'étalent, s'agrandissant rapidement de manière à se toucher et se souder. Petit à petit, la surface se recouvre de cette croûte transparente et s'isole de l'air ambiant, la croûte s'épaissit, la neige tombe dessus, et c'est à peine si le skieur s'aperçoit du passage sur l'ancienne ouverture sur l'abîme. Mais aujourd'hui nous n'en sommes pas là. Une légère houle se fait sentir, qui froisse la dentelle de cristaux et transforme leur masse transparente en bouillie grise et opaque.Dasyrhamphus mueurs. Visité trois plaques sur lesquelles se sont installées les compagnies de mue. Ce sont les trois plaques que j'ai déjà notées. Voici leur situation aujourd'hui. L'un n'a qu'un seul habitant, retardataire, qui a encore quelques plumes à changer. Le second en contient deux au même état à peu près, peut-être en peu moins avancés. La troisième en contient 8 dont deux ont presque fini, 4 sont à moitié déplumés, 2 à peine commencent. Le plan de la plaque donné ci-contre montre avec quelle intelligence ces oiseaux ont choisi leur endroit. Ils ont quatre hummocks qui les protègent contre tous les vents. L'abri de chaque hummock est choisi suivant la direction du vent et la meilleure preuve est que ces quatre hummocks ont été occupés comme le montrent les déjections qui salissent leurs versants internes. Le reste de la plaque est net. Seule la base des hummocks a été habité. On voit aussi que dès qu'un pingouin a fini de muer il s'empresse de fausser compagnie à ses collègues. Le dernier restant doit être très malheureux. Ces pauvres bêtes sont maigres, vous reçoivent avec un concert assourdissant de cris et se rassemblant tous en phalange compacte, ils nous font face hérissant leurs plumes de la tête. C'est une position de défense qui a l'air de leur être familière, quels ennemis pourraient-ils pourtant avoir? Je les ai vues exécuter cette manœuvre lorsqu'une Ossifraga passe en volant au dessus d'eux. Ils se laissent caresser par nous assez gentiment sans donner des coups de bec, lorsqu'acculés contre les hummocks ils ne pouvaient plus reculer. Vu un Ossifraga entièrement brun. On me signale des Daption ou Thalassoeca. On a vu des Aptenodytes dans une flaque. On a vu des phoques dans une clairière. A travers une fente dans laquelle tombent les rayons du soleil on voit dans l'eau de nombreux animaux planctoniques, fort petits. Deux salpes, fragments d'une chaîne à nucléus bruns, un petit poisson, voilà les seuls grands animaux qui apparaissent. Lundi, 13 mars 1899Calme, ciel clair. -10o. Léger souffle du Sud-Est. Depuis cette nuit très forte houle du Nord-Est. Toute la banquise ondule, la glace grince, le bateau reçoit de formidables coups. Peu de plaques sont brisées. Faible aurore. Ci-joints les dessins de trois icebergs que je vois de la fenêtre du laboratoire et qui sont très rapprochés du bateau (à une mille environ). Le premier peut avoir 30 à 40 m de hauteur. Il est formé de deux parties réunies par la base, mais sous l'eau, car entre eux il y a des plaques qui ballottent au gré de la houle. Cependant les deux doivent être réunis, car ils tournent ensemble et en même temps. Le grand morceau est en lame de couteau. Le second dessin représente un iceberg plus massif à pans coupés droits. En son milieu une chaîne de montagnes à arrête aigue domine le reste d'une dizaine de m. La base a un peu plus. Le troisième est tout bas et beaucoup plus petit, il ne présente que peu d'arrêtes et toute sa base est en forme de croupes arrondies et polies. C'est probablement un vieux fragment qui a longtemps subi les attaques de la mer. Tous les icebergs pendant cette forte houle subissent de très forts changements de position. Ils virevoltent et se déplacent avec une très grande aisance dans le pack qui est très serré, comme on a pu facilement se convaincre après la tentative ridicule qu'on a faite aujourd'hui pour le forcer avec le bateau. Inutile de dire qu'on n'a pas avancé d'un mètre. Vu plusieurs fois un Pagodroma. Plusieurs Dasyrhamphus nigrogularis qui venaient de muer passent près du navire. Ils viennent probablement des stations de mue. Mardi, 14 mars 1899Beau temps, avec vent du Sud-Est. -4o. Vers le soir en mer libre quelques giboulées et -3o. Hier soir la houle était très forte mais le navire recevait peu de chocs, à cause de la détente qui n'était pas assez forte pour nous laisser passer mais qui était suffisante pour empêcher les heurts trop violents sur la coque. Toute la banquise était animée d'une forte dérive vers le Nord-Est, et visiblement le pack coulait vers le Nord entre les icebergs. Ce matin nous avons froissée avec le pack qui nous entoure entre deux icebergs et malgré la grandeur des plaques et la faible distance nous pouvons avancer. Les premiers pas sont difficiles; les plaques sont encore assez fortes, beaucoup de slash et peu de place. Après avoir laissé les deux icebergs dans le Sud nous trouvons de la glace plus maniable. On avance même assez bien. Nous arrivons ainsi vers 9 h à un iceberg tabulaire, vieux compagnon qui a longtemps subi l'action des flots. Le navire est dirigé trop près de l'iceberg, il arrive presque à le toucher, ce qui constitue un grand danger étant donnée la force de la houle. On finit par s'en éloigner avec peine et dépassant derrière, c'est-à-dire du côté vers lequel le pack dérive, nous apercevons un grand lac d'eau libre et beaucoup d'oiseaux. À partir de cet iceberg la glace devient de plus en plus maniable; à la place des plaques unies en fragments plus ou moins considérables, apparaissent des plaques de véritable pancake, cinq ou six, en plus de disques formées autour de vieux fragments de glace, réunis en plaque arrondie. Quelques rares fragments d'icebergs, puis nous arrivons à la lisière. La lisière était à environ 10 milles de notre campement du 14. Elle n'est pas une ligne unie mais possède un bord frangé, étant donné qu'on trouve des baies dirigées Nord-Sud, ayant 2 à 3 milles de long, séparées par des caps. Ces baies ont aussi quelques milles de large. Nous traversons deux ou trois bandes de pack, transversales aux baies. Puis nous arrivons dans la mer libre, sans un seul iceberg en vue. On sonde et on drague et à 8 heures du soir on met le cap sur la Terre de Feu avec un vent violent du Sud-Est.6 h. Vu 2 Thalassoeca (en tue un) et un Pagodroma.8 h. Vu 1 Thalassoeca, un Pagodroma et un Ossifraga brun. C'est autour d'un iceberg qu'on les a vus, endroit où à cause de la dérive plus faible de l'iceberg par rapport au pack il y a toujours de l'eau libre.3 h. 3 Priocella glacialoides, des Thalassoeca, Daption, Ossifraga surtout bruns, Megalestris, sternes à tête noir, Pagodroma, ceci dans une baie d'eau libre.4 h. Nombreux Dasyrhamphus sur une bande de pack dans une baie.4 h. 30. Tué un Priocella. Les autres arrive viennent immédiatement voir ce qu'il est arrivé à leur compagnon. Un Daption arrive aussi pour recueillir la graisse que le blessé vomit à la surface de l'eau. Tué le Daption. Lundi, 27 mars 1899Sommes forcés de partir à 5 h du matin en laissant l'ancre. Passons avec une démontée et violente tempête entre les Furies et entrons heureusement dans le Cockburn. Traversons Magdalena et à 8 h soir nous sommes dans le Magellan. Thalassogeron, Ossifraga très nombreux et surtout bruns. Sternes à tête noire. Cormorans nombreux autour des Furies. Pêchent assis sur les vagues malgré la mer démontée.Cockburn. Ossifraga très nombreux et surtout bruns, Larus dominicanus, sterne à tête noire. Rencontrons de nombreuses touffes flottants de Durvillea est Macrocystis qui sont portées par le courant vers la haute mer.11 h. Thalassogeon encore. Les terres depuis l'Ile Noire jusqu'ici ont le même caractère que la Terre des États: Fagus rabougris penchés tous vers l'Est, moins rabougris dans les points, abrités du vent de l'Est. L'herbe est jaune, la neige recouvre les hauts sommets.4 h. Vu une bande de Spheniscus, des oiseaux noirs (Puffinus?), Thalassogeron et cormorans. Ossifraga brun un jour avant la terre. Il y en a beaucoup dans le Cockburn et Magdalena. Mardi, 28 mars 1899Entrée à Punta Arenas à 6 heures du matin.